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La mort de ma vie.

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Comment vous parler de ce qui vous effraie le plus ? En vous partageant ma relation passionnelle avec elle...

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juin 01, 2025
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La mort de ma vie.
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Pour la version audio, rendez-vous tout en bas de cette lettre.

De ma terreur -que chaque jour rallumait sans arrêt et que chaque nuit intensifiait- à une relation tranquille, il n'y a définitivement pas eu qu'un pas. Voici le chemin que j'ai emprunté et comment je poursuis la route.

Suivez le guide, et commencez par écouter cette chanson fabuleuse de Flora Fishbach, qui enfile les haillons de la grande faucheuse dans “On me dit tu”. Les synthés sur ce morceau, amènent une vibration Halloweenesque : châteaux hantés, citrouilles creusées dont les flammes font danser les regards de ces courges inanimées, loups hurlants, draps volants, cris stridents et frissons irrésistibles…

I. La Mort loin de Nous

L’imaginaire collectif occidental véhicule une idée macabre de la mort. Il faut avouer que le procédé naturel qui se poursuit une fois les constantes cérébrales et cardiaques à l’arrêt, est celui de la putréfaction. Et revenir à la poussière ne sent définitivement ni la rose ni le lys blanc.

La mort met à nu toutes les pièces de notre maison. Un corps que la vie a abandonné, se rigidifie tout d’abord, il se vide hélas des liquides encore contenus dans l’estomac, dans la vessie, ainsi que des excréments dans l’intestin et si l’on ne le conserve pas sur une table réfrigérante ou dans une morgue, se forme alors une tâche verte sur l’abdomen annonçant qu’une étape est franchie : les pigments des matières fécales traversent les parois intestinales et se logent sous l’épiderme. Tout se décompose. Les bactéries engendrent des gaz qui vont faire enfler le corps. Je vous passe le reste des détails, mais je vous expliquerai pourquoi je les connais bien, un peu plus tard au cours de cette lettre (vous référer à la partie VII).

D’elle, nous nous maintenons loin comme si la mort était contagieuse. Risquer la contamination, c’est de la folie. Et nous ne sommes pas fous. Si un gel hydroalcoolique garantissait de ne pas attraper les germes de la mort, ni les pâtes ni le PQ ne feraient pénurie dans les supermarchés. Nous nous arracherions des litres de gel, que nous transvaserions dans nos flacons au format « sac à main » et nous nous en recouvririons le corps plus régulièrement que de la crème solaire.

Dans un monde qui ne croit plus en rien, la mort est l’aveu de la finitude et par conséquent, du caractère imparfait de l’homme. Jean de la Fontaine fît un éloge du déni en prononçant ceci : « Puisqu’il est des Vivants, ne songez plus aux Morts. » Il eût fallu selon lui, ne s’occuper, ne s’émouvoir et ne s’interroger que de ceux dont le coeur battît encore. Mais de tous les autres, six pieds sous terre, nulle nécessité d’en faire le cas. C’eût été remuer un passé sur lequel nous ne pussions mettre le doigt.

Si l’évolution de nos sociétés en Occident a cherché à mettre la mort en boite, la peur de voir arriver la mort, plus que la mort en soi, n’est pas une angoisse nouvelle. Quintus Ennius écrivait « La mort n’est pas un mal, l’approche de la mort en est un. » Quant à Epictète, il interroge dans ses entretiens : « Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l’homme, ce n’est pas la mort mais la crainte de sa mort ? »

Ainsi, lorsque le corps s’éteint, où va ce qui semblait l’animer, lui donner une démarche, et sa propre manière de dévorer le monde ? La question se pose depuis que l’on meurt. Les réponses ne peuvent être données par une science qui n’envisage pas la trinité corps/âme/esprit et qui détermine le cerveau comme la fabrique de la conscience.

Les travaux de Jean-Jacques Charbonnier notamment, anesthésiste-réanimateur ont mis au jour qu’en état de mort cérébrale, c’est à dire, en l’absence d’activité électrique dans le cerveau, certains patients étaient « toujours là » à assister à la scène de leur corps inanimé, de leur opération, en percevant les moindres détails dans toutes les directions à la fois, parfois dans d’autres services que le leur, en restituant des anecdotes tout à fait précises, voire des numéros de série, sous les tables où leur vaisseau de chair reposait. C’est ce que l’on appelle en français, les EMI (expériences de mort imminente) et NDE en anglais (Near Death Experience). Et celles-ci, les grandes spiritualités du monde de même que des philosophes les évoquaient déjà dans l’Antiquité. Qu’il s’agisse du Livre des Morts Egyptiens, du Livre des Morts Tibétains, de la Bible1, de Platon dans sa République où il raconte le mythe d'Er, une histoire sur un soldat qui revient à la vie et décrit des visions de l'au-delà, incluant une lumière vive, mais encore Plotin2 qui discute volontiers de l'âme et de son ascension vers la lumière, ou dans un autre genre Socrate dans le Phédon où il décrit la mort comme une libération de l'âme vers un meilleur état, la mort a tout l’air d’être une terre de lumière. Chez les Celtes, la mort nous envoie dans « l’Autre monde ». Les âmes pourraient se réincarner ou bien changer de statut et devenir des être vénérés. Le Bouddhisme incarne le cycle de renaissance et donc de réincarnation avec ces quatre concepts clé :

  • L’Annica (l’Impermanence ; la mort n’est qu’une transition vers autre chose)

  • Le Samsara (tant que l’on n’a pas atteint l’Éveil, on se réincarne)

  • Le Karma (conséquences relatives à la somme de nos actions)

  • Le Nirvana (l’Eveil ; ou la fin de nos désirs et de l’ignorance qui rompt le cycle de réincarnations).

Enfin pour ce qui est de la Kabbale, cette mystique juive antique, l’âme serait un fragment divin, destiné à revenir à sa source divine après la mort physique. La réincarnation n’est là non plus pas exclue, si elle est destinée à :

  • parfaire son élévation spirituelle,

  • purifier ses fautes,

  • achever des tâches restées sur le carreau.

La Mort me hante depuis que je suis en âge de penser à des concepts abstraits, et j’étais une enfant précoce. Je n’ai pas su me contenter de « un jour, on sera mort mais quand on sera très très vieux. »

II. La Mort : reine de mes cauchemars

Mes parents ont été élevés dans la tradition catholique. Chacun baptisé. Mon père carrément enfant de coeur. Ma mère est allée jusqu’à la Confirmation. Mes deux parents nous ont maintes fois raconté la culpabilisation qu’ils subissaient au moment de se confesser. Chacun (et ils ne se sont connus qu’au lycée) devait inventer des pêchés pour satisfaire leurs prêtres respectifs parce que ceux-là estimaient que les fautes relatées ne devaient sans doute pas être les seules et qu’ils devaient cacher d’autres méfaits, ces sales gosses impurs !

Vous l’avez compris, je n’ai pas été élevée dans la religion.

« Des conneries » disait mon père.

« Le seul type qui m’a tapé sur les doigts avec une règle, c’était un curé. » disait ma mère.

J’ai voulu croire en Dieu pendant un temps. En réalité, je croyais en une fée bleue, comme celle de Pinocchio. J’espérais qu’une dame respirant la bonté et la grâce vive sur une étoile, et que lorsque je serais triste, elle en descendrait et apparaîtrait dans une pluie d’étincelles qui ne brûlent pas, pour passer son bras autour de mes épaules. De la chaleur de sa peau aurait exhalé un parfum de lilas et de violette, et tous mes problèmes si graves d’enfant sensible, se seraient envolés.

J’ai cessé de croire en Dieu quand il ne m’a pas envoyé de nouvelles de mon chat disparu. J’avais pourtant fait les choses bien. J’avais trouvé une plume de pigeon dans mon jardin, écrit avec un feutre noir de déménagement en très gros, pour que Dieu puisse lire d’où qu’il soit. Tout ce que je voulais savoir, c’était si Doudou allait bien. Et que Doudou sache que je l’aimais. J’ai enroulé ce papier autour de la plume de pigeon. Je l’ai coincé dans un arbre, poussant à l’horizontal et au ras du sol : un Juniperus. J’avais décidé que si le lendemain matin, la plume et le mot n’y étaient plus, c’était que mon message avait atteint les cieux et que je n’avais plus qu’à attendre une réponse. Le lendemain, ils n’y étaient plus. J’étais heureuse. J’allais recevoir quelque chose qui me réchauffe le coeur. C’était sûr. Mais rien.

J’ai cessé de croire en Dieu. A cet instant, il n’y avait que les faibles et les désespérés pour imaginer qu’un connard sur un nuage nous veuille du bien. Même pas foutu de répondre à mon courrier de petite fille. J’ai haï ce Dieu que tant d’idiots adoraient. Ces mêmes idiots qui écrivaient dans les livres d’Or des églises, leurs souhaits comme si Dieu était le Père Noël. « Fais que ma fille réussisse son concours. » « Peux-tu me permettre de trouver une nouvelle maison ? » Que des demandes égoïstes, matérielles, superficielles… Ma haine de Dieu s’est accompagnée d’une détestation de ses sujets. Tous esclaves d’une secte. Je me suis calmée depuis. Mais je fais une grande différence entre ceux qui se disent de telle ou telle religion et ceux qui disent simplement avoir la Foi. J’ai malgré moi, un à-priori qui persiste vis-à-vis des premiers et j’ai développé un profond respect envers les seconds.

Bref, si Dieu n’existait pas et le Paradis non plus, j’avais un gros problème. Ca m’enlevait le Happy End, et ça ne me laissait plus que la Fin. La Fin en laquelle croyait mon père et qui me glaçait le sang : « Bah, les vers te mangent et c’est tout. Terminé ».

Basta. Le néant. Le néant pour toujours. Pour la vie. Enfin, la vie. Façon de parler. La vie, 80 ans max. Et le néant jusqu’à un nombre qu’on connait même pas, qu’on peut même pas dire sans le lire, tellement qu’il est long et indigeste. Je ne pouvais pas, je m’y refusais.

Je ne pouvais supporter. De par ma grande nostalgie tout d’abord, et de par l’absurdité de ce passage éclair d’autre part. Ca ne pouvait pas s’arrêter ici. Tout mon corps se refusait à cette unique option. J’y pensais chaque jour, chaque nuit. Et j’avais ce triste réflexe, de souffrir des bons moments, parce qu’ils prenaient fin à l’instant même de leur bourgeonnement. Il fallait que les bons moments ne s’arrêtent jamais, les prolonger encore. Car les éprouver faisaient l’effet du baiser autant que celui de la morsure.

La Mort était en grande partie responsable de ma mélancolie. Tous les jours confrontée à elle, lorsqu’un instant de partage, de rire, de complicité prenait fin. Il fallait toujours que ça s’arrête, tout le temps. C’était pénible. Je ne pouvais pas tirer à l’infini sur la cravate de mon papa le soir quand il venait me border. Le jeu devait s’arrêter. Nous ne pouvions pas danser le rock jusqu’à épuisement le dimanche après-midi ensemble. Les goûters avec maman devaient prendre fin eux aussi, parce que nous n’étions pas des tonneaux sans fond. Les rares moments de jeu avec mon frère cadet se stoppaient de façon abrupte. Il se lassait toujours le premier. Quand à mon frère aîné, il faisait ses études à Bordeaux. Il fallait inévitablement qu’il reparte. Il nous rendait visite mais retournait à sa vie de jeune étudiant. Encore des moments qui s’étiolaient.

III. La Mort : toi qui m’obsédais plus que n’importe quel garçon

A partir de 11 ans, j’avais déjà l’attirail d’une femelle adulte capable de procréer. Une grosse bouille ronde encore, des joues rouges, mais déjà 1m74, à 7cm de ma taille adulte. Je me suis tournée vers les ordinateurs et le sentiment d’infini qui émanait de l’internet. J’ai lu beaucoup sur des forums. Je me suis instruite sur la kundalini et surtout le voyage astral (obstinée à l’idée de sortir de ce corps difforme et lourd qui était le mien). J’ai consulté beaucoup de pages sur la réincarnation et sur les témoignages d’apparitions fantomatiques. J’ai fait mes premières séances de spiritisme, inconcluantes, remplies de doutes plus que de certitudes. Je ne vivais rien de ce que je lisais. J’espérais voir ces images vaporeuses, ces silhouettes dans les miroirs, voir des verres s’exploser contre les murs, entendre des voix d’outre-tombe me parler. Il me fallait quelque chose pour être certaine que ça ne s’arrêtait pas là, quitte à ce que cela signifie errer dans un mi-monde à observer les vivants déambuler et vaquer à leurs occupations pendant que les morts seraient coincés là. C’était mieux que rien ! Mais non.

Quand j’ai eu 15 ans, mon ex belle-soeur accouchait de mon deuxième neveu. Elle a failli y passer. Embolie pulmonaire. Ca a mis un coup d’accélérateur à mon urgence. Il fallait que je sois sûre.

J’avais un autre souci. Mon papi. Michel. Le père de ma mère. Jamais connu. Décédé bien avant ma naissance. Je n’ai pas eu la chance de lui parler de son vivant. Mais je ne sais expliquer pourquoi, je me sentais liée à lui. Il aimait les enfants, il aurait adoré avoir une petite-fille. Et la manière dont ma mère en parlait, n’a jamais cessé de me serrer la gorge. Y avait quelque chose entre lui et moi.

J’avais une amie en 3ème, Emma. Elle m’avait raconté que sa grand-mère demandait avant de s’endormir, à parler à ses proches disparus. Le rêve servait de pont entre les morts et les vivants. Et si ses aimés disparus, lui apparaissaient pendant son sommeil, c’est qu’ils venaient réellement la voir pour lui passer un message.

Alors, je ne me suis pas endormie un seul soir sans parler à mon papi ni lui demander de venir me voir… pendant plus de 2 ans sans succès. Et puis une nuit, le miracle.

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